Trois fois rien dans un champ de non-dits et de regards en coin. Avaient-ils eu aussi peur que moi? Ou est-ce que ça avait été un jeu qui les avait rendus responsables d’un trop peu qui était allé trop loin? Je me suis longtemps demandé.e ce qui s’était passé. Je ne le sais toujours pas aujourd’hui.
Quand on traverse le désert et que les traces de l’humain se font mirages solitaires, chaque goutte d’espoir compte. Chaque goutte refusée, aussi. Il est des moments qui marquent une vie, qu’on préférerait oublier. Il est des moments et des gens qui sont dans le cœur, où qu’on aille, avant de parfois ne plus arriver à s’en souvenir. Tellement le désert est là.
Un paradis terrestre m’avait été refusé et j’avais soif de ce qui rend humain, d’affection et de soutien. Un chien, voilà ce que j’étais devenu.e, ou un.e mendiant.e. Je voulais comprendre, que le désert ait un sens.
Ils étaient attablés, ne sachant quoi dire en m’entendant parler du désert dont ils n’avaient que vaguement entendu parler et dont ils n’avaient pas envie de parler. Tellement gênés qu’ils en avaient oublié de me proposer à boire pendant que je parlais du désert. Ils étaient deux. Ils auraient pu être moi. Ils le savaient. Ils attendaient des miettes d’information de leur patron pour partager ce qu’ils ne savaient pas encore, mais qu’ils auraient donné cher pour savoir vite. C’était un beau couple d’ours polaires, qui a fini par me servir un peu de thé fumant avec un petit goût de caramel. Je regardais leurs beaux yeux carnivores en silence, leurs regards se dérobaient, j’avais peur. Je suis parti.e après avoir bu le thé servi, d’un trait, comme le trait tracé dans mon esprit, posant la limite à mon statut de chien mendiant des bribes d’information et d’humanité. Qui étaient-ils, après tout, pour soulager une peine dont ils ne se sentaient pas concernés? Ils m’avaient déjà chassé.e une fois, sans rien expliquer, sans rien me demander. Quelle idée d’y être retourné.e, d’autant plus que le patron n’était pas là. Il avait égaré quelque chose, paraît-il, peut-être que c’était le désert. Un patron qui se perd dans un désert, le sien, différent du mien ou de ceux des ours polaires buveurs de thé fumant, et qui l’égare. Est-ce comme perdre les clés de sa voiture ou de sa maison? Ou comme perdre une forme de cauchemar et sa solitude?
Le désert, je l’avais toujours, surtout quand je m’arrêtais à penser au paradis terrestre qui m’avait été refusé ou aux attablés qui m’avaient chassé.e. Avec le temps, les dunes de souffrance ont bougé, un peu, et il n’y a plus eu de paradis terrestre, de table ou de patron à l’horizon.
Un sourire espiègle, des yeux brillants me demandent de me taire et de fermer les yeux. Le désert n’est plus là, c’était il y a des années et il est temps d’aller dormir au paradis terrestre d’où les chasseurs sont partis, faute de proies. Ici.